Le fantastique pouvoir de votre imagination, par Iterou Ogowè

On imagine souvent que le cinéma a complètement évincé le roman, reléguant l'ouvrage littéraire, au rang de fossile, inutile, désuet, obsolète. Le cinéma, un genre artistique révolutionnaire ? On peut en douter. Qu'il s'agisse du suspens, de la comédie, de l'action, du panache, le romancier franco-haïtien Alexandre Dumas, avait tout inventé.

Alexandre Dumas (1802-1870), l'auteur du Comte de Monte Cristo et de la Reine Margot

Qui n'a pas rêvé d'être un héros, assailli par un escadron de farouches combattants, épées à la main, se tirant d'affaire par je ne sais quelle botte, répétée mille fois à l'entraînement et exécutée de façon faussement spontanée, lorsque sa vie ne tient plus qu'à un fil ?

N'AVEZ-VOUS PAS FREMI mesdames, à l'idée de vous faire ravir l'homme de votre vie, lors d'une machination ourdie par une association ponctuelle de gens malfaisants, alliant la jalousie amoureuse à la jalousie professionnelle ?

Guy Pearce et Jim Caviezel dans "The Count of Monte Cristo" 2002, de Kevin Reynolds.

Lorsque vous êtes une jeune femme, pleine d'avenir, ayant grandi dans l'une des plus belles villes du monde et l'une des plus ensoleillées, lorsque votre amour vous est ravi, pour une période de temps indéfini, lorsque cet amour va voir sa vie abrégée lors d'une incarcération dans un obscur cul de basse fosse, dont jamais il ne reviendra... quelle n'est pas votre surprise lorsqu'au bout de quinze ans, votre amour défunt vous est rendu sous la forme d'un mystérieux milliardaire étranger, disposant à la banque d'un crédit illimité, un homme aussi seul que généreux, semblant être revenu d'entre les morts, pour accomplir une funeste vengeance ? Quelle n'est pas votre surprise lorsque cet homme, l'homme de votre vie, vous reconnaît, lorsque ses yeux trahissent son identité cachée, bien que son discours fort diplomatique et détaché vous dise qu'il n'est rien d'autre que ce mécène venu d'au-delà des mers ? Qui n'a pas rêvé de revivre sa vie, la vraie et de rattraper enfin le temps perdu avec l'être aimé ?

Jim Caviezel et Dagmara Dominczyk

On imagine souvent le cinéma comme l'art par excellence, celui qui vous laisse scotché sur votre siège devant l'écran noir ou terrassé sur votre canapé, devant des images féériques, telles que celles de "Titanic" ou d'"Avatar", pour ne citer que celles-là.

Sait-on que notre frère Dumas, avait tout inventé, au XIXème siècle : le suspens, les cavalcades, les travelings, les baisers dans les alcôves, tout ce qui fait la grandeur du cinéma en quelque sorte. Quand on lit les premières pages du Comte de Monte Cristo, on constate que le décor est planté dès les premières lignes :

"Le 24 février 1815, la vigie de Notre-Dame-de-la-Garde, signala le trois-mâts le Pharaon, venant de Smyrne, Trieste et Naples. 

 Comme d'habitude, un pilote côtier parti aussitôt du port, rasa le château d'If, et alla aborder le navire entre le cap de Morgion et l'île de Rion. 

Aussitôt, comme d'habitude encore, la plate-forme du fort Saint-Jean s'était couverte de curieux ; car c'était toujours une grande affaire à Marseille que l'arrivée d'un bâtiment, surtout quand ce bâtiment comme le Pharaon, a été construit, gréé et arrimé, sur les chantiers de la vieille Phocée et appartient à un armateur de la ville." Le Comte de Monte Cristo, chapitre 1.

Le réalisateur qui adapte ce roman sur grand écran, peut très difficilement rater son coup, puisque la mise en scène est déjà virtuellement accomplie.

Au delà, de l'action qui transparaît dans les romans d'Alexandre Dumas, il y a toute une éthique, celle du panache et de la loyauté.

Edmond Dantès, le futur Comte de Monte Cristo, s'évade du château d'If, prison située sur une île au large de Marseille, ville où se situe le début de l'action du roman éponyme. Et il va confondre ses ennemis, sous les traits d'un milliardaire étranger, un gentleman fort cultivé, doté d'une puissance quasi-divine, que lui procure une fortune illimitée, ainsi qu'un art de la diplomatie et une cohorte de gens qui lui sont attachés et dévoués.

D'artagnan, c'est le mousquetaire qui est au service du Roi, alors que l'infâme Richelieu, ambitionne de supplanter Louis XIII, et de mettre la main sur le royaume de France. D'artagnan, est un homme du terroir, venu du sud de la France. Il a forcément un accent méridional. D'artagnan aime les femmes et ne le cache pas. Il aime se battre et n'en fait pas mystére. Mais il a besoin pour cela, d'avoir une bonne raison : son honneur, bien sûr, mais plus encore, celui de la Reine et plus que tout, celui du Roi.

On sait que d'Artagnan a véritablement existé. Ce n'est pas le cas du Comte de Monte Cristo.

Mais d'où vient donc cette propension de Dumas à trouver des modèles de surhommes, qui savent affronter leurs ennemis, contrecarrer les plans d'êtres malfaisants qui semblent d'une puissance irresistibles (le comte de Morcef, Richelieu), et faire triompher, la justice, le bien (on ose pas écrire : la Maât(2) ?

Tout cela lui vient de son père, le général Dumas, né à Jérémie (Saint Domingue), le fils de Césette, la noire, l'africaine.

 Dumas, fut un grand général républicain, intrépide sur le champ de bataille, notamment pendant la campagne d'Italie que l'armée française fit, peu après la révolution. Il pouvait à lui tout seul, mettre une dizaine d'adversaires hors d'état de nuire et renverser le destin d'un affrontement dont l'issue semblait despérée. 

Le général Dumas (1762-1806), père de l'écrivain

En Vendée, lors de la guerre civile française, il fit montre de qualités humaines exceptionnelles, évitant le massacre des populations insurgées et montrant ostensiblement sa désapprobation, quant à l'usage inconditionnel de la guillotine.

C'est lors de la campagne d'Egypte que le général républicain, fils d'un normand de la petite noblesse et d'une africaine de condition servile, général qui avait abandonné son nom aristocrate (Davy de la Pailleterie) pour le nom roturier de sa mère (Dumas), eut l'occasion de s'opposer au futur dictateur qui allait dans les années qui suivent, amener la France dans une série de guerres impériales, trahissant par là-même l'idéal révolutionnaire de 1789 : Napoléon Bonaparte !

Revenu comme d'autres soldats, par ses propres moyens, sur le continent européen après que la flotte française eut été anéantie sur les côtes égyptiennes par les Anglais, Dumas sera fait prisonnier en Italie et empoisonné. On voît où son fils est allé chercher son inspiration concernant l'incarcération inhumaine d'Edmond Dantès, dans son roman Le comte de Monte Cristo.

Libéré après quelques années, Dumas est affaibli. Napoléon qui est entretemps devenu l'Empereur des Français, n'aura rien tenté pour faire en sorte que le franco-haïtien soit libéré plus tôt. 

Le général Dumas pourra réintégrer le foyer conjugal de Villers Cotterêts, mais il décédera au bout d'un ou deux ans, de maladie et de chagrin, Napoléon ayant fait en sorte que sa solde de général ne lui soit plus versée.

Son fils s'efforcera, avec brio, de le venger dans ses romans, avec tous ces modèles de surhommes, de héros, dont nous parlions tout à l'heure.

Les livres de Dumas ? C'est comme boire du champagne, c'est comme écouter la musique de Saint George (le compositeur guadeloupéen fut le camarade de son père sur le champ de bataille). 

Le chevalier de Saint George, compositeur et escrimeur

Au Gabon,(mon pays d'origine situé en Afrique, à Kemet, chez les Bantous), nous avons une boisson réservée aux nobles, c'est une boisson savoureuse, au goût très recherché, à l'hydromel. Lire les romans de Dumas, c'est boire cette boisson à l'hydromel. En lisant les romans de l'auteur du Comte de Monte Cristo, vous devenez grâce à la puissance de votre imagination, le plus grand directeur de la photographie, le plus grand réalisateur de films de tous les temps, avec, à votre service, le meilleur des scénaristes : Alexandre Dumas !

Iterou Ogowè

2. La Maât est l'harmonie cosmique, la justice, la vérité, dans la cosmogonie des Africains de la période pharaonique.