MOLEFI KETE ASANTE
Retour sur la conférence "La religion et le devoir afrocentrique", qui s'est tenue le 19 avril 2014 à Paris, au CISP Maurice Ravel. Le sesh Molefi, a à cette occasion, fait une intervention relative à notre identité culturelle, à notre unité dans la diversité et à la nécessité de notre engagement dans la renaissance africaine. L'intervention de la Per Aat Ama, sera prochainement mise en ligne dans sa version vidéo.
Avant tout, je suis très heureux d'être ici à Paris, je voudrais remercier le Shenuti Ameni et A.I. France pour l'organisation de cet événement. Je suis ici grâce à Ama Mazama et grâce au Shenuti Ameni. Je suis heureux d'être ici avec mon frère Muthu Ikapi et sa fille Kéni et le frère Demba, le frère Asari et les camarades de lutte. Je suis content d'être présent ici lors de cet événement. Nous n'avons personne d'autre que nous-mêmes. Nous sommes ceux qui devons faire ce travail, mener cette lutte. Il n'y a personne d'autre pour le faire à notre place. Nous allons parler pendant quelques minutes de la renaissance africaine. Ce que nous devons faire tout d'abord, c'est de parler des choses fondamentales, c'est à dire de notre histoire, de la géographie et de l'unité de notre civilisation.
La question que je voudrais développer, est la suivante : Qui sommes-nous ?
L'Afrocentricité et le Panafricanisme.
Et je pose une question récurrente au sein de nos communautés. Je suis panafricaniste, mais le panafricanisme sans l'afrocentricité ne mène à rien. Ce dont nous avons besoin, c'est d'une idéologie, d'un paradigme, de façon à ce que le panafricanisme fonctionne. Sa matrice doit être l'afrocentricité. Nous avons eu le panafricanisme durant les 110 dernières années, pourtant il y a très peu d'institutions panafricaines, bien qu'il y ait des nations africaines qui revendiquent ce panafricanisme. Museveni le président de l'Ouganda est un panafricaniste. On peut avoir le panafricanisme à travers l'Afrique et pourtant, ne pas avoir d'institutions panafricaines. On ne peut créer des nations panafricaines uniquement que si on possède une idéologie politique. C'est ainsi qu'Afrocentricity International, est une organisation à la fois panafricaine et afrocentrique. Voilà une information très puissante. Vous devez recueillir cette information, vous l'approprier et en faire quelque-chose de concret.
Afrocentricity International est locale et internationale. Elle est locale, parce que si on prend l'exemple de la France, il faut savoir que dans ce pays les Africains sont omniprésents. Et l'unité des Africains doit être basée partout, sur un paradigme commun. Et si nous avons ce paradigme commun qui est basé sur notre idéologie, notre indépendance d'esprit et notre propre agenda, nous arriverons à quelque chose. L'idéologie afrocentrique est basée sur l'actualisation collective de notre propre vision du monde. Je vais vous expliquer comment cela marche. Nous savons que nous avons construit les pyramides. Cette histoire des civilisations de la vallée du Nil, nous l'enseignons aujourd'hui. Mais maintenant que nous savons cela, où allons-nous, comment nous traitons cette question, comment l'actualisons-nous ? Comment pouvons nous agir en nous appuyant sur notre connaissance ?
Mais nous prenons des chemins différents. Au sein d'Afrocentricity International nous ne sommes pas effrayés par quoi que ce soit. Parce que, avant tout, comme le dit la per Aat Ama Mazama, nos endroits les plus sacrés sont en Afrique. Et notre courage provient de nos ancêtres héroïques. Cela doit être affirmé dans tout ce que nous faisons. Si vous comprenez cela et si vous y croyez, vous êtes quasiment un militant de Afrocentricity International. Mais si vous ne comprenez pas cela et si vous n'y croyez pas, vous êtes à mille lieux de devenir un militant d'Afrocentricity International.
Beaucoup de choses sont dites par nos frères et soeurs : "Je suis du Tchad. Je suis malien. Je suis du Cameroun. Je suis Guadeloupéen. Je suis du Sénégal. Je suis Gabonais", etc... Quand un Européen vous pose la question suivante : "Qu'est-ce que vous avez en commun avec une personne du Congo ?" , ce n'est pas pour vous unir, c'est pour vous séparer. On vous pose cette question afin que vous pensiez que vous n'avez aucun point commun avec une personne congolaise.
ZEP TEPI
J'utilise ce mot cikam (dans la langue de notre Kamita ancienne), qui signifie "le commencement". Nous pensons que nos ancêtres sont éternels parce que nous l'avons décidé, tout simplement, comme disait Ama Mazama tout à l'heure. Les Africains croient en l'importance du nom. Quand vous avez des noms européens tels que "Richard" par exemple, vous n'avez pas de vrais noms. Certes, on peut vous dire que c'est votre nom "chrétien". Mes les noms africains que nous portons, proviennent de notre culture. Nous donnons à nos enfants des noms qui évoquent par exemple, la notion de fertilité. De la même manière, la famille et la communauté, sont des notions très importantes. Des enfants appartenant à un même communauté diront qu'ils sont "frères et soeurs"... c'est cela l'Afrique. On met la société au dessus de l'individu. Nous considérons que la famille est très importante. Nous honorons nos honorables ancêtres. Les offrandes, les cérémonies de passage, les chants lorsqu'on est triste ou à l'inverse pour manifester notre joie. Tout cela, c'est notre manière d'être. Nous chantons aussi à l'occasion des décès. Et les cérémonies de deuil ne durent pas qu'un seul jour... parce que bien sûr, nous croyons que nos ancêtres vont continuer à vivre après la mort. Voilà quelles sont nos similitudes. C'est là que nous voyons que nous sommes un, nous sommes un seul peuple.
Or, dans la société occidentale, quand vous allez dans un hôtel on vous identifie par votre prénom chrétien. C'est là une façon d'obliger les gens à admettre qu'avoir un prénom chrétien est mieux que d'avoir un prénom africain.
Dans l'Egypte ancienne, le "ren", le nom, c'est une composante importante de l'identité d'une personne. Il y a d'autres composantes : Quand vous mourrez, le Ba est toujours vivant. Et le Ba s'en va et revient. Et le Shut c'est l'ombre. Le Akh, c'est votre charisme. Et vous pouvez connaître la personnalité de quelqu'un en fonction de son charisme. Quand vous dites cela, vous parlez réellement de l'Akh. Et ensuite vous avez le "ib", le coeur. La signification de cela, c'est que dans l'Afrique antique et dans l'Afrique traditionnelle, votre esprit, votre nom, votre âme, votre personnalité varient en fonction des lieux où vous vous trouvez. Vous pouvez avoir six noms différents. Vous me connaissez sous le nom de Molefi Kete Asante. Mais je suis aussi Nana Okru Asante Peasah. Mais vous ne connaissez que "Molefi Kete Asante". Cela me rend insaisissable pour mes ennemis. Je peux être à deux endroits différents, simultanéments. Voilà la croyance de mon peuple. Les ancêtres croyaient en cela.
MOLEFI ASANTE, EN AFRIQUE, IMMERGE DANS LA CULTURE ASHANTI
Autre exemple : La culture africaine n'avaient pas de concept de culpabilité, seulement le concept de la honte. La honte est un concept communautaire. La culpabilité est un concept individuel. La honte, en tant que concept communautaire, fait en sorte que vous pouvez être ostracisé par la communauté, du fait de ce concept de la honte. La culpabilité est individuelle. Elle est en vous, tout simplement. C'est une notion occidentale. Vous pouvez faire l'expérience du sentiment de culpabilité sans être exclu de votre communauté. Mais la honte est perçue par toute la communauté et nos ancêtres avec toute leur sagesse, sont partis du fait que si vous aviez fait des choses très mauvaises à l'encontre de la communauté, il était normal que vous soyiez banni de celle-ci. Ou alors, éventuellement, il faut faire des sacrifices et à ce moment là peut être, les ancêtres vous pardonneront le fait de les avoir offensés. Et c'est seulement là, peut être, que vous sere affranchi de la honte. Et bien sûr, on peut voir à cette occasion que dans le détail, il y a des différences entre les peuples africains, nous ne sommes pas semblables, il y a des différences dans la manière dont nous créons les sanctuaires, dont nous nous occupons des jumeaux, la manière dont nous invoquons les esprits de la pluie... Nous percevons et interprétons les différentes couleurs différements. Et nous avons bien sûr, des langues différentes. Le peuple d'Haïti, n'est pas le peuple guadeloupéen. Et le peuple du Congo, n'est pas le peuple malien. Il nous faut comprendre cela. Mais nos ressemblances sont bien plus importantes que nos différences.
L'interprétation erronée
C'est ainsi que l'anthropologie est la discipline la plus eurocentrique. En fait, l'anthropologie a la prétention de vouloir définir comment l'Afrique doit être interprétée. C'est ainsi que dans le cadre de l'anthropologie on fait une distinction entre l'Afrique noire et l'Afrique dite "blanche", alors qu'en fait, toute l'Afrique est noire. Il n'existe aucune autre Afrique que l'Afrique noire.
L'apparition de l'Occident comme système politique
C'est en 732 de notre ère, à Poitiers que la culture européenne que nous connaissons est née. Ce fut à l'occasion d'une grande bataille, celle menée par Charles Martel contre les Omeyyades. C'est à ce moment-là qu'est apparue l'unification de l'Europe. Des communautés différentes d'Européens se sont associées à l'occasion de cette bataille.
Quant aux Africains, ils se sont défendus conte les Arabes, du 7ème siècle jusqu'à maintenant. Les Africains se sont aussi défendus contre l'Europe. Mais la possibilité de la victoire des Africains sur les forces coalisées, est plus que jamais d'actualité. Nous devons surmonter et évacuer les idées oppressives qui assaillent nos esprits. Cheikh Anta Diop a dit que l'Egypte était à l'Afrique ce que la Grèce était à l'Europe. L'Egypte est à l'Afrique, ce que la Chine est à l'Asie. Si cela est vrai, que doit-on faire à présent, en tant qu'Africains ? Parce que nous avons construit les pyramides... dans le passé... et à présent... qu'est-ce que nous devons faire ? Nous savons qu'il y a plus de deux mille langues parlées en Afrique. Nous savons qu'à présent, la culture arabe est en Afrique. Nous savons que l'islam est en Afrique. Nous savons que le christianisme est en Afrique. C'est pour cela qu'aujourd'hui au Soudan, les frères se battent entre eux. Ce sont des conflits ethniques qui ont lieu actuellement au Sud Soudan et ces conflits créent des opportunités pour les Arabes du Nord. Mais les Africains du sud Soudan sont mal informés, tout simplement parce qu'ils ont adhéré à des idées étrangères.
Echange inégal contre Echange pacifique
Les relations que nous avions en tant qu'Africains étaient basées sur l'échange qu'il s'agisse de faire des affaires, qu'il s'agisse de vendre. Tout cela était basé sur des relations humaines.
Puis les Africains de l'Est du continent furent réduits en esclavage. Il y a eu, l'esclavage arabe et il y a eu aussi l'esclavage européen. Les Africains d'Afrique centrale furent aussi réduits en esclavage. En revanche, les relations que nous avions en tant qu'Africains étaient basées sur l'échange qu'il s'agisse de faire des affaires, qu'il s'agisse de vendre. Tout cela était basé sur des relations humaines. Regardez ces gravures, elles représentent des enfants. Ce sont nos ancêtres réduits en esclavage. En plus de cela, ils nous ont imposé leurs dieux. Ils nous ont imposé leurs dieux, afin qu'on se batte entre nous, au nom de LEURS dieux. C'est ainsi qu'on trouve des Africains qui tuent d'autres Africains, pour le bien des autres... c'est à dire des étrangers. Des Africains se sont mis à tuer d'autres Africains, pas au nom de Mvidi Mukulu, ni au nom de Shango, ni au nom de Amon Râ. Pourquoi est-ce qu'on s'entretue ? Nous nous entretuons au nom des dieux étrangers à l'Afrique. Nous nous battons pour cela, pas pour un dieu africain ; nous nous battons pour un dieu étranger à l'Afrique. Nous n'avons aucun intérêt dans ces guerres. Et pourtant, nous nous battons...
Ils nous ont imposé leur ciel et leur enfer. Dans les conceptions africaines, il n'y a pas cette conception. Cela n'existe pas dans la culture africaine. La conception de l'enfer et du ciel n'existe pas dans la tradition africaine. C'est pour que vous ayez peur. Et aussi pour vous contrôler et contrôler vos esprits. C'est une idéologie de conquête.
Les Africains pensent que si on a eu une bonne vie, on aura la vie éternelle. Et ainsi, on pourra accéder au statut d'ancêtre. Voilà ce que nos ancêtres plein de sagesse nous ont appris. Donc, ils ont fait de nos vies un enfer sur cette terre. Et nous avons perdu ce contact avec nos ancêtres. Cela fait longtemps que nous vivons un moment de désenchantement.
"ACTUALISER NOTRE HISTOIRE, NOTRE CULTURE, N'EST PAS SEULEMENT LE FAIT D'EN PARLER. IL FAUT AGIR."
Cela fait pas mal d'années, maintenant, que je viens ici à Paris. Et je sais qu'ici à Paris, il y a eu des centaines de discussions. Et j'ai assisté à des discussions sur ce thème du désenchantement, c'est à dire à propos de cette fameuse question : Où en sommes-nous à présent ? Et nous avons appris pas mal de choses. Afrocentricity International est une organisation mondiale qui réunit des Africains de différentes contrées afin de donner une réponse commune à nos questions. Parce que ce sont des actions dont nous avons besoin : des actions sur la scène politique. Nous voulons influencer des gouvernements. Nous voulons avoir accès à une certaine visibilité. Nous voulons qu'on nous voie et qu'on nous entende. A présent nous savons ce qu'il faut faire. Il s'agit de conceptualiser cette histoire. Si vous décidez de marier vos enfants, vous pouvez prendre les bons exemples au sein de votre propre culture, plutôt que de vous inspirer de la culture européenne. Quand je viens ici à Paris et que je vois toutes ces statues européennes, ces statues témoignent de tout ce que les Européens ont accompli. Malheureusement, les Européens ne se sont pas simplement contentés de valoriser leur propre histoire, ils ont pris votre histoire pour l'actualiser à leur avantage exclusif. C'est ce que vous voyez au Louvre. Quant à l'obélisque de Ramsès, il a été importé d'Egypte et transporté ici par les français.
Ainsi, actualiser notre histoire, notre culture, n'est pas simplement le fait d'en parler. Il faut agir. Il faut y penser et le mettre en oeuvre chaque jour. Mettez en place des institutions. Créer des structures économiques sur la base de notre culture.
Plus spécialement à l'attention des jeunes gens qui sont dans le public, je voudrais parler de Djehutymes III. On parle souvent d'Alexandre, de Napoléon comme de grands conquérants, alors que le plus grand conquérant de tous les temps est Djéhutymes III. Il a mené dix-sept campagnes militaires. Jamais aucun autre roi n'a mené autant de campagnes militaires. Sachant qu'il a gagné toutes ces batailles.
Chaka... Tant de choses négatives ont été dites et écrites sur Chaka... Parce que Chaka s'est efforcé de protéger son peuple des Européens et il a aussi attaqué des Noirs qui s'alliaient aux Blancs.
DESSALINES, GENERAL HAITIEN VICTORIEUX
Dessalines... N'acceptez pas non plus que l'on dise des choses négatives sur Dessalines. Dessalines était plus brillant que le général Leclerc que Napoléon avait envoyé en Haïti lutter contre les Africains qui s'étaient libérés eux-mêmes. Nos enfants doivent rendre hommage à Dessalines.
Yanga... mena la révolte contre les Espagnols au Mexique. Il était originaire du Congo, au XVIIème siècle ! Etudiez sa vie.
NEHANDA, HEROINE DU PEUPLE SHONA
Nehanda, au Zimbabwe, a lutté contre les Britanniques. Quand il l'ont arrêtée, ils lui ont proposé de devenir chrétienne. Elle a dit "non, qu'on me tue, mais je ne veux pas devenir chrétienne."
Okomfo Anokye était un grand prêtre ashanti, ainsi qu'un juriste, qui a élaboré tout un tas de lois.
Et puis, bien sûr, vous devez invoquer les noms de vos ancêtres, lire le Mwikadilo Muya connaitre et étudier les livres afrocentriques, rejoindre Afrocentricity International, consacrer du temps à l'étude de votre culture et de votre histoire. Il faut remercier ce que Afrocentricity International France a réalisé aujourd'hui et ce que le shenuti a fait.
Chantez et dansez pour la victoire et rappelez-vous... (en français dans le texte) : L'unité est notre but et la victoire notre destinée !