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16 mai 2014 5 16 /05 /mai /2014 22:07
La-ferocite-blanche.jpg
Rosa Amelia Plumelle Uribe, est l'auteur de "La férocité blanche", ouvrage publié en 2001.*
Ce livre retrace l'histoire de la domination raciale instaurée par les Européens sur le continent américain, ainsi qu'en Afrique. L'auteur établit un rapport de filiation entre les crimes contre l'humanité commis pas l'hégémonie blanche et la politique nazie d'extermination.  Cette interview fut réalisée il y a treize ans.
Iterou Ogowè : A la lecture de votre livre, deux réactions sont possibles. Parmi les lecteurs Africains du continent, Africains de la caraïbes, Africains d'Amérique, certains s'arrêteront en cours de route, tétanisés par l'horreur des descriptions des tortures que les propriétaires d'esclaves infligeaient à leurs victimes.
Qu'avez-vous à dire à ceux qui préféreront ignorer ce passé sombre, afin de mieux vivre l'instant présent ?
Rosa Amelia Plumelle Uribe : Des siècles d'occultation et manipulation de cette histoire par la domination et la suprématie occidentale, n'ont pas rendu heureux les descendants des anciennes victimes. Et pour cause ! Les inégalités scandaleuses entre les fortunes des héritiers des négriers et des colons ; la pauvreté voir la misère des descendants des victimes de l'esclavage et de la colonisation, sont là pour nous rappeler que les conséquences de ces crimes, continuent à déterminer le présent et à peser sur l'avenir.
Impossible d'ignorer aujourd'hui qu'aux Etats-Unis par exemple, la société blanche qui naguère pratiquait le lynchage des Noirs, applique aujourd'hui la peine de mort en vertu de critères raciaux hérités de l'esclavage.
Tout cela laisse très peu de possibilités aux descendants d'Africains déportés pour s'épanouir dans l'ignorance de leur propre histoire.
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ETATS-UNIS, AFFICHE DE VENTE D'ESCLAVES
I.O. : La mémoire, oui, bien sûr, mais à quel prix ? Est-il nécessaire de se remémorer les chapitres les plus sombres de l'histoire de l'humanité ? Quel intérêt, notamment pour les populations noires de France, qui vivent dans un Etat démocratique qui a fait son deuil des heures les plus sombres de la domination raciale...
R.A. Plumelle Uribe : La mémoire collective, comme la connaissance de son histoire, sont des piliers forts sur lesquels se développe, la dignité d'un groupe ou d'un peuple.
Les survivants du génocide des indigènes d'Amérique ainsi que les descendants d'Africains déportés, ont perdu la maîtrise de leur histoire. Celle-ci a été réduite à l'histoire des aventuriers européens qui semèrent la désolation dans le continent américain et aux profits substanciels générés par leurs entreprises génocidaires.
Il faut donc que les victimes de ce désastre aient le droit de connaître leur histoire. La France est d'ailleurs concernée par ce passé sombre. Pourquoi le fait que les anciens colonisés connaissent leur histoire devrait-il provoquer la suspicion ?
I.O. : L'originalité de votre livre réside dans ce recensement des situations d'oppression de l'homme noir sur plusieurs continents et au cours d'époques historiques différentes. Cette histoire a rarement été rassemblée dans un seul livre, écrit directement en français...
R. A. Plumelle Uribe : L'histoire des peuples noirs n'a pas été écrite par les Noirs ni pour les Noirs en général, ce sont les vainqueurs qui écrivent l'histoire. L'originalité de "la férocité blanche", c'est d'avoir prouvé un fait dont l'évidence aurait pû crever les yeux des spécialistes : si les nazis ont fait les atrocités que nous savons, c'est bien parce qu'avant eux, les systèmes esclavagistes et colonialistes en avaient fait autant contre des non-Blancs, loin de l'Europe. C'est à cause de cela que Auschwitz ne peut pas être perçu partout et par tous comme elle peut l'être en Europe par les Européens.
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I.O. : Pouvez-vous nous parler du racisme anti-noir et de l'antisémitisme des nazis ? Quelles sont les différences entre ces deux produits de l'idéologie raciste occidentale et leurs points communs ? Comparer l'application sur le terrain (l'Allemagne, l'Afrique, l'Amérique), de ces deux politiques d'exclusion, comme vous le faites dans votre livre semble assez hasardeux. Certains disent que ce n'est pas comparable...

"... dans une Europe sous la domination d'une Allemagne nazie victorieuse, nous aurions eu le droit d'entendre parler, pour les besoins de la cause, des bienfaits du nazisme, comme naguère, on parlait des bienfaits du colonialisme."

R.A. Plumelle Uribe : Si les effroyables atrocités commises par les nazis ont été juridiquement qualifiées, c'est grâce à la défaite militaire de l'Allemagne. Il ne faut surtout pas oublier que dans une Europe sous la domination d'une Allemagne nazie victorieuse, nous aurions eu le droit d'entendre parler, pour les besoins de la cause, des bienfaits du nazisme, comme naguère on parlait des bienfaits du colonialisme.
Car il ne faut surtout pas oublier que les pays occidentaux, y compris leurs humanistes les plus remarquables dont Alexis de Tocqueville, ont bel et bien supporté "le nazisme", et l'ont cajolé avant de le subir. En réalité, ce que les Européens condamnent chez Hitler, ce n'est pas le crime en soi, mais le crime contre l'homme blanc. Le crime d'avoir appliqué en Europe, aux Européens, des méthodes d'anéantissement, jusqu'alors réservées à l'encontre d'autres peuples, non-Européens.
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IMAGE DU FILM SANKOFA DE HAILE GERIMA
I.O. : Est-ce que, à force de regarder cette histoire en face, on ne finit par devenir, esclaves du souvenir de l'esclavage ?
R. A. Plumelle Uribe : Les descendants d'Africains déportés en Amérique ne sont pas esclaves du souvenir de l'esclavage. Ils sont victimes des conséquences actuelles et bien réelles de ce crime contre l'humanité, qui grâce à leur mobilisation voici maintenant treize ans, a été reconnu par le parlement français (1). Ils sont victimes du racisme qui les accable dans les sociétés européennes. Au demeurant, les descendants d'Africains déportés et réduits en esclavage, comme beaucoup d'autres colonisés, peuvent se retrouver prisonniers de l'aliénation culturelle créée par plusieurs siècles de matraquage idéologique, au service de la suprématie blanche.
C'est donc à partir du moment où l'ancien colonisé décidera de s'approprier son histoire, qu'il s'affranchira du poids du passé esclavagiste.
I.O. : Avec votre livre, l'idée selon laquelle la colonisation a permi aux Européens de faire pénétrer la "civilisation" en Afrique, en prend un coup dans l'aile. Pouvez-vous nous parler des "fantômes du roi Léopold"(2) dont vous parlez dans votre ouvrage ?

"Pour dynamiser le travail et garantir des résultats plus performants, l'administration prit la décision de couper la main droite aux indigènes qui cherchaient à se soustraire au travail forcé."

MAINS-COUPEES-AU-CONGO-DU-ROI-LEOPOLD.jpg
MAINS COUPEES AU CONGO DU ROI LEOPOLD
R. A. Plumelle Uribe : "Les fantômes du roi Léopold" sont les quelques millions d'hommes, de femmes et d'enfants qui payèrent de leur vie, le prix des ambitions de ce criminel responsable d'un génocide dont les conséquences ne finissent pas de faire saigner le peuple congolais. Lorsque peu de temps après 1885, le roi de Belgique Léopold II installe son administration au Congo, la population indigène se trouve asservie selon des méthodes de destruction sans lesquelles toute domination coloniale serait impossible.
Pour dynamiser le travail et garantir des résultats plus performants, l'administration prit la décision de faire couper la main droite aux indigènes qui chercheraient à se soustraire au travail forcé. En 1908, le roi céda le Congo à la Belgique qui dut continuer l'oeuvre de "civilisation" entreprise par sa majesté trois décennies auparavant.
En 1960 le Congo accède à l'indépendance et le Mouvement National Congolais créé par Patrice Lumumba revendique le droit légitime de former le gouvernement. Mais le droit du peuple congolais et de son gouvernement, élu démocratiquement, à gérer librement ses richesses et son économie, heurte les intérêts des puissances occidentales qui avec la Belgique chercheront à se débarasser du gouvernement Lumumba.
Nous connaissons fort bien les conditions dans lesquelles, Lumbumba et quelques-uns de ses compagnons seront assassinés. Mais on oublie assez souvent que ce massacre aura anéanti durablement le droit du peuple congolais à la liberté, à la paix et à la dignité.
Aujourd'hui ce passé fait partie intégrante de la dette que les pays ci-devant négriers, esclavagistes et colonisateurs, ont vis à vis de leurs anciennes victimes.
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ROSA AMELIA PLUMELLE URIBE et AMENI, SHENUTI D'A.I. FRANCE
I.O. : Votre description des exactions racistes, des Latino-américains métis à l'encontre de leurs cousins améridiens font froid dans le dos... Et l'action se déroule dans la Colombie du milieu du XXème siècle !
R. A. Plumelle Uribe : Les exactions racistes à l'encontre des populations indiennes d'Amérique n'ont jamais cessé depuis l'arrivée des Européens dans ce continent. C'est justement la preuve que, contrairement à ce que d'aucuns voudraient croire, les génocides des Indiens et des Noirs n'appartiennent pas au passé puisque leurs conséquences frappent les victimes avec une actualité, hélas bien réelle.
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GASPAR YANGA, GRAND COMBATTANT DE LA LIBERTE (MEXIQUE)
Lorsque ces génocides seront reconnus et les survivants rétablis dans leur humanité niée, alors et seulement alors, nous approcherons d'une liquidation ce ce passé jusqu'à présent dépouillé de sa dimension humaine.
C'est pourquoi il est juste et nécessaire que le devoir de réparation lié au crime contre l'humanité non-européenne, devienne une exigence non seulement des victimes, mais aussi de tous ceux qui sont pour une réconciliation de l'homme avec l'homme. Celle-ci passe forcément par une reconnaissance du tort causé aux victimes. La réparation est justement l'expression juridique de cette reconnaissance.
Propos recueillis par Iterou Ogowè.
La férocité blanche, des non-Blancs au non-Aryens. Génocides occultés de 1492 à nos jours, Albin Michel, 2001, 335 pages, 18,43 euros.
1. Loi Taubira votée en juin 2001 qui a fait, en France, de la traite et de l'esclavage, un crime contre l'humanité.
2. Référence au livre d'Adam Hochschild : Les fantômes du roi Léopold II, Paris, Belfond, 1998.
*Rosa Amelia Plumelle Uribe est aussi l'auteur de plusieurs autres livres poursuivant le travail entrepris avec "La férocité blanche", parmi lesquels "Traite des Blancs, traite des Noirs, aspects méconnus et conséquences actuelles", L'Harmattan 2008. Victimes des esclavagistes musulmans, chrétiens et juifs : Racialisation et banalisation d'un crime contre l'humanité, Anibwe, 2011.
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